La Lettre du réseau : Interview de Julie Gauthier, Amicial
– L’histoire d’Amicial, c’est l’histoire d’un développement très rapide, quel défi particulier cela constitue pour vous aujourd’hui ?
Le 1er janvier dernier, nous avons intégré tous les SAAD de la Croix Rouge française, et donc nous sommes passés de 700 à 1600 salariés et de 7 à 19 départements. Forcément, cela bouleverse les équilibres établis, avec d’importants défis en termes de structuration du siège (RH, comptabilité, tout l’administratif…). C’est aussi une opportunité qui a permis d’intégrer des nouvelles fonctions : un service communication, un responsable SI… L’enjeu est de calibrer le siège au regard de la volumétrie.
Dans l’organisation des territoires, nous étions très centralisés dans les décisions, avec un management plus direct, qui convenait à 5 départements. Avec l’accroissement du secteur, il faut installer des relais, des directions territoriales et régionales DT et DR, en ayant en tête un double enjeu.
D’une part, on ne veut pas perdre notre identité, on souhaite laisser de l’autonomie aux salarié(e)s. D’autre part, il faut conserver une proximité managériale et garder de la maîtrise.
Les différences culturelles entre Amicial et la Croix Rouge ? Elles ne sont pas sur les valeurs, car initialement les 5 SAAD étaient « Croix Rouge », mais elles sont d’ordre organisationnel. Pour éviter un déséquilibre économique, nous avons l’habitude de méthodes qu’on peut qualifier d’entrepreneuriales et qui sont moins naturelles pour des organisations qui savent que les autorités les aideront.
– Quels sont les profils des publics que vous accompagnez ?
• 75 % sont des personnes bénéficiant de l’APA (donc de plus de 60 ans)
• 15 % de la PCH (public en situation de handicap, très majoritairement adulte, handicap moteur, beaucoup de maladies neurodégénératives et publics cérébro-lésés, un peu de handicap psychique, une demande croissante.)
• 10 %, moins dépendants, relèvent des caisses de retraites.
Cela peut montrer à ceux qui en douteraient que l’activité d’Amicial est clairement médico-sociale. On ne fait pas (que) du ménage, et nous avons une vraie vocation à accompagner des personnes dépendantes. Enfin, environ 5% des personnes accompagnées sont précaires (intervention au titre de l’Aide sociale).
« Le sous-financement et le déficit d’image sont les deux problèmes majeurs »
– Amicial est aujourd’hui un acteur important de l’aide à domicile. Quel portrait dresser aujourd’hui de ce secteur ? :
C’est un secteur qui est en grande difficulté aujourd’hui. Il souffre de deux problèmes majeurs, qui sont liés :
• C’est un secteur qui est sous-financé. Depuis plus de dix ans, on alerte sur le problème que représente le fait de demander à des personnes de travailler parfois de 7 à 21 heures, avec leur véhicule personnel, sans les payer au-dessus du SMIC.
• Le métier d’intervenante à domicile n’a pas une image très positive, ce qui explique les grandes difficultés de recrutement. Quand vous dites que vous êtes infirmière, ou éducatrice spécialisée, ça fait davantage rêver qu’aide à domicile. Ces difficultés, on les sent poindre depuis quelque temps, mais ça atteint des proportions inédites. Chez Amicial, nous avons 60 ETP vacants, et c’est pareil pour l’ensemble du secteur.
La conséquence est connue : nous avons des listes d’attentes sur tous les départements, on refuse des heures à certaines personnes.
Le modèle économique est très particulier. Chaque département appliquant ses propres tarifs, nous avons tout simplement 19 façons de travailler différentes. Il faudrait une forme d’harmonisation. Avant les SAAD étaient, comme les établissements, soumis à des autorisations, aujourd’hui, rien n’empêche d’avoir 200 SAAD dans un même département ! La gestion de l’offre échappe complètement au département.
Toutefois, le gouvernement prend conscience de cette problématique et on sent qu’ils essaient de revenir là-dessus. Par ailleurs, le secteur est très concurrentiel, avec parmi ses acteurs des gros groupes cotés au CAC 40, des filiales de grandes entreprises qui visent parfois à diriger des publics vers leurs Ehpad, des franchisés (qui ne gagnent pas vraiment d’argent, contrairement aux franchiseurs)… Les indépendants qui croient au mirage de la Silver Economy ne tiennent généralement pas longtemps.
Le problème de considération ne concerne pas que les intervenantes, il englobe aussi les gestionnaires de SAAD. Je ne comprends pas qu’on envisage de confier aux Ehpad le maintien à domicile alors qu’il y a des SAAD. J’ai géré un Ehpad, un Esat, je peux comparer avec un SAAD et honnêtement, on ne peut pas dire qu’on ne sait pas travailler. Si on avait les moyens, on pourrait faire de belles choses et permettre aux gens de rester à domicile jusqu’à la fin de leur vie.
Je suis favorable à ce que le secteur soit régulé. Et à un financement non plus à l’heure mais à la place, comme tous les établissements et comme les SSIAD. J’ai fait le calcul, un SSIAD, ramené à un taux horaire, donne une heure à 33 euros, contre péniblement 22 pour un SAAD. Comme les salaires sont les mêmes au titre de la convention collective, cela signifie que 11 euros sur les 33 permettent de financer la coordination, les temps de réunions, etc. Ce qui n’est pas le cas des SAAD.
– Comment Amicial a vécu et s’est adaptée à la crise sanitaire ?
Comme tout le monde, nous avons été touchés au niveau des bénéficiaires, c’est inévitable, sur 8.000 personnes. Mais on s’en est relativement bien tirés. Par contre, cela a généré de l’épuisement, avec quelques cas de burn-outs. Enfin, économiquement, ça a généré un déficit évident. Au passage, cela peut paraître anecdotique, mais les E.P.I ne sont pas pris en compte par les Conseils départementaux.
On a passé 2 mois sans masques, sans gel, on n’était pas prioritaire, mais bon an, mal an, nous avons assuré la continuité de services pour les publics qui en avaient le plus besoin. Et aussi particulier que ce soit à dire, la crise a eu pour le secteur plusieurs effets bénéfiques :
• elle a permis de le mettre en avant. C’est la première fois en 25 ans que j’entendais le président de la République prononcer les mots « Aide à domicile ». C’est en raison de la crise qu’a été signé l’avenant améliorant les rémunérations.
• Le gouvernement a réalisé qu’autant des directives pouvaient permettre de gérer la situation dans les Ehpad, autant la situation des services à domicile lui échappait.
• chacun a pu se rendre compte que beaucoup de personnes enfermées dans les Ehpad pendant un an auraient préféré être à domicile.
• Enfin, en termes d’organisation, nous avons appris à travailler en distanciel, les visios, que ce soit pour les relations avec les départements, ou s’adresser à nos salariés. On utilise des webinaires, on a créé un groupe Facebook… La crise a accéléré le développement de la communication numérique.
Quels sont vos principaux enjeux aujourd’hui pour consolider et développer votre activité ?
Notre objectif actuel est de réussir le changement d’échelle, sur 2 ans. 2021 a été consacrée à faire adopter les process Amicial, 2022 devra permettre d’aller chercher la rentabilité économique. On espère que fin 2022, tous les SAAD anciennement « Croix Rouge » seront aussi efficients que les autres.
Par conséquent, le reste du développement est en « stand by ». Mais d’ici 1 ou 2 ans, nous irons augmenter notre volume d’activité par de la croissance externe, et diversifier notre activité en développant de nouvelles offres (aménagement de l’habitat, aide aux aidants, création d’un centre de formation, coordination des parcours, avec des psychologues, ergothérapeutes, infirmières… Afin de tendre vers « le 360 »).
« On gagnerait à s’appuyer davantage sur les spécificités et l’expertise développées par chaque entité ou élément du réseau. »
– En quoi l’organisation en équipe autonome qu’évoque la salariée dans l’interview est-elle un modèle vertueux ?
C’est une forme d’organisation qu’on mène à titre expérimental depuis 2 ans, avec 3 équipes. En janvier 2022, on passera à une vingtaine. L’équipe autonome consiste à donner la possibilité à un collectif de quelques intervenantes d’organiser elles-mêmes leur planning, de gérer les remplacements, la transmission d’informations entre elles. Il s’agit de leur donner des responsabilités pour assurer la continuité de service.
Pour le siège, à court terme, cela suppose un temps d’accompagnement, de formation à nos outils, au droit du travail, etc. Mais plus tard, cela pourra alléger la charge de la structure. On a le souhait de généraliser progressivement ce système. Il faudra 10 ans, mais c’est notre envie. Et il semble que le financeur souhaite inciter à aller dans ce sens.
Pour les salariées concernées, c’est d’abord un atout en termes de conditions de travail. Les salarié( e)s reprennent le pouvoir sur l’organisation de leur temps de travail, l’aménagent selon leurs contraintes. Le fait de s’appuyer sur des équipes restreintes entraîne une baisse du turnover, donc une amélioration de la satisfaction du public. Enfin, on contacte une implication supérieure des intervenantes. A titre d’exemple, elles n’ont pas perdu d’heures pendant la période la plus marquée par le Covid.
Elles s’investissent d’une mission. Pour rien au monde elles reviendraient en arrière. Du coup, cela rend le métier plus attractif, et on revient à l’enjeu du recrutement. Car au regard de la pyramide des âges, ces 10 prochaines années, on perd 50 % de notre effectif.
– Le relayage que vous lancez (cf Brèves) est une offre innovante. Quelles sont à vos yeux les conditions d’un développement satisfaisant d’une telle offre ?
Il y a 3 ans, nous avions remporté un appel à projets de la DGCS. Il nous a fait bénéficier de fonds pour travailler l’ingénierie et donné la possibilité de déroger au Code du travail (c’est nécessaire pour faire travailler une personne 6 jours et nuits d’affilée).
Comme son nom l’indique, le relayage consiste à « prendre le relais » d’un aidant, qui s’en va quelques jours, en accomplissant ni plus ni moins que les tâches qu’il accomplissait. C’est-à-dire que si un SAAD intervient, les prestations sont maintenues pendant le relayage. Ce sont d’ailleurs des métiers différents. Et c’est une formule qui intéresse chez nous : en une semaine, vous pouvez quasiment faire votre quota mensuel.
Pour ce test, mené en octobre 2021 (3 relayages), nous avons formé des relayeuses, grâce à notre adhésion à Baluchon France, et proposé la prestation à certains aidants de nos bénéficiaires. On pourrait imaginer par la suite recruter des CDD spécifiquement pour le relayage.
Pour l’instant, nous avons eu le financement d’organismes de prévoyance, AG2R et Malakoff-Médéric, certains conseils départementaux ont dégagé des enveloppes, mais tout cela sera à définir au-delà de la phase expérimentale.
Cette expérimentation devait prendre fin au 31 décembre, la perspective semblait être d’intégrer cette modalité à la loi sur le Grand âge et l’autonomie. Mais les conséquences liées au Covid pourraient amener à prolonger l’expérimentation de 2 ans.
– Qu’attendez-vous des échanges et collaborations au sein du réseau OVE ?
Je pense qu’il y a des opportunités de collaboration, mais qu’il faut que tout le monde l’ait bien à cœur. Nous portons vraiment notre appartenance à OVE, je présente toujours la Fondation dans nos rencontres avec le Conseil départemental et si j’entends parler d’établissements qui connaissent des difficultés, j’ai le réflexe d’en informer la Fondation.
Je trouve qu’on gagnerait à s’appuyer davantage sur les spécificités et l’expertise développées par chaque entité ou élément du réseau. C’est dans ce sens que j’ai récemment proposé l’aide d’Amicial à l’établissement La Garance, qui intègre la Fondation au 1 er janvier 2022 et a répondu à un appel à projet de l’ARS sur le relayage.
Il y a 2 ans, avec le Centre Robert Doisneau, on a également essayé de répondre à un AMI, en mettant en place une équipe d’aide à domicile au sein de l’Ehpad, pour proposer une offre hors les murs.
Au niveau des directions de régions, j’échange régulièrement avec Ronald Maire. J’ai de bonnes relations avec les entités partenaires de la Fondation, des vrais liens sont déjà en place avec les directeurs.
Tout cela doit être nourri par des instances, des rencontres entre les personnes. Il faut d’abord se connaître, et pour cela créer des occasions, des espaces de vraie rencontre humaine, pour inciter à travailler ensemble. »